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mes livres préférés

24 février 2007

David Lodge, "L'auteur, l'auteur", éditions Rivage



Pour écrire L'Auteur ! l'auteur !, vous avez consulté nombre de livres, de lettres, de documents sur Henry James, interrogé chercheurs et spécialistes. Dans L'Art de la fiction (1), un recueil d'essais critiques, vous aviez déjà consacré un chapitre à Henry James intitulé « Le point de vue ». Pourquoi cet intérêt pour James ?

En tant que professeur d'anglais - j'enseignais à l'université de Birmingham - je me suis toujours intéressé à la psychologie moderne du roman. James a été le premier romancier de langue anglaise résolument moderne. Tout ce qui allait de soi dans un univers victorien, le monde objectif et l'intrigue linéaire, le narrateur omniscient, qui privilégie un ou deux points de vue possibles à partir desquels l'histoire sera racontée, tout cela disparaît. James est un virtuose de la manipulation du point de vue ; il fait usage de la « conscience subjective », il explore ce qui se passe dans la conscience d'un personnage. J'ai appris énormément de lui, mon roman Pensées secrètes (2) s'inspire de sa technique, on y sent comme une présence invisible.

En lisant la biographie de James par Leon Edel, en suivant les tentatives de James pour s'affirmer comme auteur de théâtre, j'ai été frappé par le côté dramatique de sa faillite : l'échec retentissant de sa pièce Guy Domville, montée à Londres en 1894, alors que tous ses amis et beaucoup de gens célèbres se trouvaient dans la salle, les huées du poulailler, la honte de James qui était sur scène pour saluer.

Mais l'idée du livre ne m'est venue qu'après avoir lu Trilby, le roman qui rendit célèbre George Du Maurier, caricaturiste au journal Punch et ami de James. Une chaîne de télévision britannique m'avait demandé de l'adapter. Là encore, une chose m'a frappé : l'intrigue de Trilby, Du Maurier l'avait un jour livrée à James pour qu'il en fasse une fiction.

James avait refusé, disant à Du Maurier qu'il devrait lui-même écrire un roman. Or voici que ce livre obtenait un succès incroyable, un succès tel qu'on put parler - l'expression naquit à cette époque - de best-seller, l'équivalent, par exemple, de Da Vinci Code aujourd'hui.

La conversation avec James fut en quelque sorte le « germe » d'où naquit cet ouvrage. Il y a là une ironie tragique : James incite Du Maurier à écrire un roman ; ce roman devient le succès éditorial du siècle, au moment même où lui, James, qui désire tant la réussite, essuie un échec cuisant avec sa pièce. J'avais, dans ces circonstances cruelles, dans l'amitié de James et Du Maurier, où se glissa sans doute de la rivalité et de la jalousie, le germe de mon propre roman.

Les thèmes de la réussite et de l'échec sont au centre du livre avec celui de l'argent. Vous présentez en même temps les conditions de l'édition dans la dernière décennie du XIXe siècle, une situation dont James eut à souffrir.

Il voulait à la fois écrire comme il l'entendait, de façon expérimentale - et jamais il ne fit de concessions - et être connu du grand public, vendre beaucoup de livres. C'est une contradiction qu'il ne résolut pas. James dépendit d'abord de la bonne volonté de sa famille, une situation inconfortable, puis il hérita d'une somme modeste. Son grand-père avait édifié une fortune considérable ; il eut douze enfants et son héritage fut donc dispersé. Le père de James fit en outre de mauvais placements et le capital fondit. Je crois que l'ambition secrète de James était de restaurer la fortune familiale avec l'argent que lui rapporterait son oeuvre. Mais il gagna davantage avec la publication de ses romans en épisodes, dans les journaux, que par ses livres jugés difficiles : 850 exemplaires pour Les Papiers d'Aspern,

70 livres

de droits d'auteur pour La Muse tragique... S'il s'orienta vers le théâtre, c'est qu'il espérait par ce moyen acquérir la reconnaissance et la fortune que le roman ne lui apportait pas. C'est pourquoi l'échec de sa pièce l'ébranla si fortement.

Votre livre, qui a le sérieux d'une biographie, se lit comme un roman. Comment faire pour qu'une documentation aussi considérable se glisse dans la narration ?

J'ai laissé de côté une grande partie du matériau dont je disposais pour suivre un fil directeur. L'amitié avec Du Maurier, la tentative pour devenir un auteur dramatique, la juxtaposition ironique de l'échec de Guy Domville et du succès de Trilby, voilà la trame du livre. Si bien que tout le reste de la vie de James reste partiellement ou totalement dans l'ombre. Un biographe traite d'une vie tout entière, ce qui produit une image diffuse ; un romancier se penche sur une petite partie de cette vie : il en tire une histoire. Le problème : donner une forme narrative à une masse de documentation aussi énorme. J'ai eu de la chance en ce sens que Guy Domville, Trilby, et la mort de Constance Fenimore, l'amie de James dont il est beaucoup question ici, sont des événements qui ont eu lieu la même année. Henry James disait : « Dramatisez, dramatisez ! » L'histoire doit être présentée sous forme d'interaction plutôt qu'être décrite de l'extérieur : les gens se parlent, bougent, réagissent, comme dans une pièce, comme dans un film...

C'est la manière de James qui nous intéresse aujourd'hui, plutôt que ses thèmes, la conscience qu'il avait de lui-même en tant qu'écrivain : il nous montre le processus à l'oeuvre dans l'écriture.

Propos recueillis par Christine Jordis

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